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Cinquième cours : vers une philosophie du vivant

13 Mai 2020 , Rédigé par clubphiloblagnac Publié dans #philosophie générale

Cinquième cours : vers une philosophie du vivant

Nous avons regardé, un peu, comment pouvait se développer une réflexion philosophique sur la nature. Parvenir à approfondir notre connaissance de ce qui est mû en tant qu'il est mû... Je voudrais, dans ce nouveau cours, regarder avec vous comment pourrait se structurer une philosophie de « ce qui se meut », une philosophie du vivant. Si la philosophie de la nature n'est pas suffisante, c'est parce qu'il existe des vivants. C'est très bien de s'interroger s'il existe d'autres vies dans l'univers... Mais le philosophe se laisse interroger par les vivants qui sont autour de lui, par ce vivant qu'il est lui-même.

Comme je vous l'ai dit, Aristote attachait une importance très particulière à cette dimension de la philosophie qui, comme sa philosophie de la nature, a été terriblement mise dans l'ombre en raison des progrès fulgurants de la biologie et des diverses sciences mathématisées du vivant. Pourtant aucune de ces sciences ne peut se substituer à une philosophie de la vie, pas plus qu'une philosophie de l'existence ou une approche phénoménologique. Tous ces regards ont leur valeur propre mais ce n'est pas le même regard qui est posé sur le vivant et sur la vie par les sciences, par les philosophies de l'existence ou par la phénoménologie. La philosophie du vivant qui fait suite à la philosophie de la nature développe son propre regard et comme toutes les sciences philosophiques, elle cherche en premier lieu à saisir les principes et les causes propres du vivant.

Une philosophie enracinée dans l'expérience

Regardons, tout d'abord, quelle expérience du vivant se trouve au point de départ de cette réflexion philosophique. Toute philosophie s'enracine dans une expérience. Pour découvrir cela, nous n'avons pas besoin d'aller bien loin. Nous sommes des vivants, nous nous mouvons, nous exerçons des activités de vivants : nous respirons, nous mangeons, nous sentons, nous ressentons diverses passions (amour, joie, tristesse, haine, fuite etc.), nous marchons, nous pensons, nous exerçons des activités professionnelles, nous aimons... Ainsi nous exerçons des activités vitales très diverses qui pourtant sont toutes dépendantes de nous.

Cette expérience de nos opérations vitales n'est pas une question, pas plus que l'exister du devenir, du mouvement et des changements, dans la nature n'était une question. Ce sont des faits. Le philosophe revient constamment à l'expérience. Ce monde est en mouvement et dans ce monde il existe des vivants de toutes sortes. Parmi ces vivants, l'homme a un caractère particulier qui se manifeste par la richesse de ses activités. Comme nous devons essayer de comprendre ce qu'est le devenir, ce qui est mû en tant que mû, nous devons chercher à comprendre ce qu'est le vivant en tant que vivant, c'est-à-dire ce qui se meut en tant qu'il se meut.

Nous exerçons des activités vitales chaque jour. Nous avons la faculté de les exercer et d'être lucides sur le fait que nous les exerçons. Ces activités manifestent notre autonomie de vivant. Toutes ces activités se réalisent dans notre corps et ses parties, ses membres. Vous savez combien Aristote attachait de l'importance à l'étude des parties des animaux. Non seulement pour comprendre comment le corps fonctionne mais surtout pourquoi il est constitué de telle ou telle façon. Car les parties des animaux, et de notre corps, ne se comprennent vraiment que dans la lumière de nos activités vitales. Pensez simplement à la forme de la main humaine...

La constitution du corps dépend de l'organisation de ses facultés vitales et de leur finalité. Elle dépend aussi évidemment de son « être-au-monde ». Quelle relation l'animal entretient-il avec la nature ? Le vivant est à la fois autonome et dépendant. Il est autonome parce que toutes ces opérations vitales ont leur source en lui--même. Par ces activités diverses notre « être-au-monde » naturel n'est pas simplement un « être-là », mais nous pouvons nous servir de notre milieu naturel, le transformer comme nous l'avons vu précédemment. Nous pouvons coopérer avec la nature, créer notre milieu de vie etc. Mais nous en sommes dépendants car la nature est pour nous un milieu vital dans lequel nous trouvons ce dont nous avons besoin pour vivre : l'air, la nourriture, etc. Ainsi nous pouvons dominer la nature tout en restant dépendants d'elle. Si nous pouvons la dominer, c'est qu'il y a en nous une capacité à la connaître et à la transformer. Mais ce n'est pas tout, nos opérations vitales nous permettent de nous perfectionner en tendant vers notre fin. Ces opérations vitales nous constituent comme ce vivant particulier qui exerce sa vie à travers ses opérations.

Nous devons donc essayer de comprendre ce qui répond de leur existence en nous... Certaines réalités sont vivantes, d'autres non. Rechercher « ce par quoi » ces opérations sont ce qu'elles sont et en vue de quoi sont-elles ? C'est la grande question de la cause de la vie en nous-mêmes. Pourquoi suis-je ce vivant particulier, avec ce potentiel de vie, ces facultés diverses, capable d'opérer et toute cette complexité qui est mienne dans cette cette unité profonde de vivant ? C'est là que se pose la question d'un principe propre et d'une cause immanente de la vie en nous. Ce qui nous ramène au problème de l'âme. Les anciens ont beaucoup parlé de l'âme. Pensez au Phédon de Platon... Aristote lui consacre un traité, Plotin apportera une grande vision de l'âme dans ses leçons de philosophie (Les Ennéades) l'âme toute proche de l'intelligence, l'âme tournée vers le corps. Nous ne pouvons pas regarder toutes ces positions maintenant puisqu'il s'agit d'une courte introduction, mais j'espère que nous y reviendrons plus tard. Pour Aristote, l'âme se découvre par induction.

Le procédé de l'induction

Partir de la connaissance évidente des faits : nos activités vitales diverses s'exercent en nous et par nous. C'est le même vivant qui exerce ces activités. Il y a, en nous-mêmes, une unité de vie qui se manifeste dans la diversité de nos activités. Quelle est la cause profonde de l'unité de vie qui existe dans la diversité de nos facultés et de nos opérations vitales ? Vous pouvez facilement comprendre que cette unité ne s'explique pas par les constituants biologiques de notre corps. Déjà l'unité de l'être mû provient de sa forme et non de la matière. On ne peut pas non plus répondre simplement par le moi, ce qui reviendrait à s'arrêter à la conscience que nous avons de nos opérations. Or de certaines activités nous avons peu ou pas conscience. Pourtant elles sont. Dans notre corps, il y a des opérations végétatives, des activités qui s'exercent sans le contrôle de la volonté. Pensez, par exemple aux battements du cœur ou à la digestion. Le corps, ses organes, ses membres sont vivants et présentent une réelle unité de vie. Pourrait-on nier qu'il existe une réelle « unité de vie » dans toutes ces facultés corporelles qui nous constituent comme ce vivant que nous sommes ?

La recherche du « pourquoi » de cette unité est importante. L'unité du composé vivant ne s'explique pas par les éléments qui le composent. Cette cause ne peut pas non plus être un nouvel élément qui s'y ajouterait. Le « pourquoi » cherche à déterminer la cause. Nous pourrions rester comme en arrêt en disant : effectivement, il semble qu'il y ait une unité mais pourquoi on ne peut pas le savoir...

Le procédé de l'induction relève de l'analogie et de l'hénologie. L'un est une propriété de l'être. Aristote disait qu'il en est l'acolyte, c'est-à-dire qu'il le suit. En ce sens, il est toujours l'intermédiaire entre le multiple et sa cause. La connaissance analogique réclame toujours la médiation de l'« un ». Nous avions vu, en philosophie de la nature, que les causes sont quatre pour ce qui est mû mais que, d'une certaine manière, on pouvait les ramener à deux principales. La nature-forme et la nature matière. En effet, la nature-forme implique la spécification (efficience), la forme et sa finalité propre. La nature matière rend compte de la capacité foncière au mouvement et au changement de la réalité mue. De même les activités vitales ou opérations rendent comptent de la capacité au mouvement et aux changements de ce qui se meut, mais non pas de l'unité profonde de sa détermination de vivant.

Le vivant est à la fois mû, en tant qu'il appartient à cet univers en devenir et qu'il est une réalité physique et il possède sa propre autonomie en tant qu'il peut se mouvoir lui-même. Ainsi, la distinction de la nature-forme et de la nature-matière ne rend pas compte de ce qu'est le vivant en tant qu'il se meut. Il faut qu'il y ait une source de l'unité du vivant découverte au-delà de la distinction de la nature-matière et de la nature-forme mais dans la même direction. Ce qui nous permet de dire que l'âme est cause propre selon la détermination de l'être vivant.

L'âme est source radicale des opérations vitales

Toutes les opérations vitales ont leur source première dans l'âme principe et cause selon la détermination de ce qui se meut en tant qu'il se meut. Il conviendra au philosophe du vivant de regarder attentivement la nature de l'âme qui, comme nous l'avons dit, n'est pas un élément surajouté au tout que représente tel vivant. L'âme n'est ni une opération, ni une faculté, ni un organe ou un membre particulier. Elle est la source radicale de toutes ces facultés et de la vie présente dans le tout concret du vivant.

Nous ne faisons pas l'expérience de l'âme

Tout d'abord, le fait qu'elle n'est pas un élément rend impossible d'en avoir une expérience directe ou de la représenter. C'est la raison pour laquelle une culture positiviste rejette l'âme soit comme une illusion, soit comme quelque chose d'inconnaissable. Il n'y a pas d'expérimentation possible de l'âme, pas de possibilité de la mesurer, de la représenter... Nous ne la connaissons qu'à travers les opérations vitales qui nous la révèlent. L'âme est présente à ses opérations. Elle donne au vivant une autonomie à l'égard de la nature, plus ou moins grande selon les vivants. Dans le cas de l'homme, cette autonomie est très importante. Non seulement parce qu'il peut se déplacer, mais encore dominer la nature par son travail, aller à la rencontre d'un autre par l'amour, etc.

D'autre part si les opérations vitales ont leur source radicale dans l'âme nous pouvons dire que l'âme est bien présente en chacune d'elle, mais surtout que celles-ci s'enracinent dans l'âme. On dit souvent que l'âme est dans le corps, mais il faudrait plutôt dire que le corps est dans l'âme par laquelle il est actué. (Nous verrons ce que cela signifie). Analogiquement, nous pouvons dire que ce que la nature-forme est à la nature-matière, l'âme l'est pour le corps. L'âme informe le corps et elle en est concrètement l'ousia. L'âme est source du devenir vital du vivant et elle demeure en lui, tant qu'il vit. L'âme est la source radicale des opérations vitales, toutefois, chaque opération vitale a sa source propre qui est une faculté particulière. Mais ces facultés proviennent de l'âme.

Maintenant si nous regardons l'expérience de la mort, nous comprenons que l'âme est principe de vie. La séparation de l'âme et du corps réduit celui-ci à l'état cadavérique. Il perd son unité et retourne à la multiplicité. L'âme est source non seulement d'unité et de détermination mais également d'ordre et d'harmonie. Elle transforme l'ordre purement physique en un ordre vital. Etant présente à toutes ses parties, elle leur donne vie. Elle transforme le corps en le déterminant, et pour l'homme, elle le spiritualise.

Les degrés de vie

Le philosophe qui cherche à mieux connaître le vivant devra étudier les divers degrés de vie que celui-ci présente. Il y a en effet des opérations qui témoignent d'une vie végétative comme la respiration, la nutrition, la croissance, la reproduction. D'autres opérations ressortissent à une vie sensible. Nous avons déjà parlé des cinq sens : la vue, l'ouïe, le toucher, l'odorat, le goût. Mais il y a aussi l'imagination, la mémoire, les passions et tout ce domaine psychique qui s'enracine dans le conditionnement corporel. Enfin, il faudra regarder la vie de l'esprit que les anciens appelaient le νοῦς avec ses opérations d'intelligence et de volonté.

 

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