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La philosophie en tant que corpus de sciences ordonnées.

2 Mars 2021 , Rédigé par clubphiloblagnac

La philosophie en tant que corpus de sciences ordonnées.

Ce cours est comme une pause nécessaire dans la progression de notre réflexion. Où allons nous ? Lorsqu'on entreprend un voyage, il est bon de connaître un peu là où l'on va. Alors on utilise une carte. Cette carte nous permet de baliser notre itinéraire. Durant cet itinéraire, on peut avoir de belles surprises ! Mais afin de ne pas nous perdre, de ne pas trop nous attarder, nous revenons régulièrement à notre carte.

Aristote regarde les grandes questions philosophiques comme des « lieux ». Considérer ces lieux, c'est développer des topiques (de topos qui veut dire lieu en grec). Regarder ce que les autres ont déjà dit sur ces différentes questions. Cela nous aide car ce qu'ils ont découvert de vrai nous éclaire et nous devons essayer d'éviter de reproduire leurs erreurs ! Mais la philosophie elle-même est un espace très vaste et les lieux sont multiples. La philosophie n'est certes pas une construction de l'intelligence au sens d'une création artistique mais elle implique des lieux que l'on considère sous divers angles. Ces angles de vue sont ce qu'on appelle « raison formelle ». Et la raison formelle se porte toujours sur l'objet de notre étude : ce que l'on regarde, ce que l'on expérimente et que l'on cherche à mieux connaître. Lorsque nous étudions quelque chose nous devons considérer le point de vue sous lequel nous nous plaçons. Regarder notre cathédrale de l'intérieur, à partir du fond nous donne un regard différent de celui qui la survole avec un petit avion ou qui en fait le tour de l'extérieur ! Nous pouvons regarder la philosophie comme une cathédrale avec différents lieux et ces lieux nous renvoient à nos différentes expériences et celles-ci sont à la source de différentes sciences.

J'aimerais réfléchir avec vous sur ces demeures philosophiques qui constituent cet ensemble architectural qu'on appelle « la philosophie ». C'est un mot tellement riche de sens ! Sciences ordonnées qui viennent structurer de l'intérieur l'intellect humain. Et si la philosophie nous apprenait comment réaliser cette architecture intérieure de l'esprit ? Notre esprit deviendrait effectivement semblable à une cathédrale avec son parvis, son narthex, sa nef et ses bas-côtés, ses transepts, ses colonnes, ses voûtes, son chœur, son abside, ses contreforts. La sagesse n'est-elle pas comme une cathédrale de l'intelligence ?

Mais en même temps, nous le savons bien, beaucoup hier et aujourd'hui sont affublés du manteau et du titre du philosophe mais n'en sont pas. Socrate (mort en 399 av. J.C.) s'en plaignait déjà et, de ce point de vue-là, les choses n'ont guère évolué. Nous pouvons donc déjà nous demander ce qu'est un philosophe, un « vrai » philosophe ? Le mot vient de Pythagore. Le philosophe est l'amant de la sagesse. Ainsi, il répond à une soif de son intelligence en quête de la sagesse. Qu'est-ce donc que la sagesse ? On peut distinguer très rapidement deux tendances dans l'usage courant du mot sagesse. Il y a la tendance pratique : celui qui se comporte bien, avec calme, un bon jugement, une vie bien ordonnée, une certaine bonté personnelle, une sagesse morale acquise dans les expériences et les épreuves de la vie, un homme vertueux. Puis, il y a celui qui gouverne une communauté humaine avec prudence, justice, patience, discernement, sachant allier détermination et souplesse, attention à tous et à chacun dans sa conduite. C'est un peu l'homme politique parfait qu'on ne rencontre pas souvent ! Puis, il y a celui qui possède la science et la pratique d'un art et qu'on appelle volontiers un maître... Il n'est pas seulement quelqu'un qui possède un certain savoir-faire mais il a la connaissance des principes et des causes qui permettent la réalisation des œuvres d'art. Et il sait les enseigner, les transmettre ! Mais il y a aussi celui qui semble pénétrer au-delà du visible, en saisir les causes, et qui sait expliquer les choses de la nature, les choses humaines, et en donner les raisons. Par ses explications, il donne à voir et à comprendre ce que beaucoup ne voient pas et ne comprennent pas. Il a acquis la science au sens d'un savoir fondé dans « ce qui est », dans ce monde « commun à tous », comme disait Héraclite, et ce savoir nous éclaire.

La sagesse a donc quelque chose d'analogue à la lumière. Si nous plongeons notre cathédrale dans le noir, on ne voit plus rien et sa beauté disparaît ! Au contraire, dès que le soleil se lève, l'édifice se revêt de clarté et sa splendeur se révèle. Ceux qui ont composé les vitraux des cathédrales savaient jouer avec la lumière pour révéler la splendeur de l'édifice. La sagesse consiste donc à éclairer ce monde qui, en raison de notre ignorance, nous demeure opaque. Pour parvenir à la sagesse, il faut donc acquérir un savoir et ce savoir est constitué d'une diversité de sciences. C'est la dimension de la science en tant qu'elle est capable de regarder toutes choses dans la lumière de leurs principes et de leurs causes propres.

Alors, entrons dans notre cathédrale pour une première visite guidée. Il y a le parvis. Le parvis est foulé par les non-philosophes, c'est-à-dire par tout le monde. C'est cette connaissance que l'on acquiert de manière directe. On pourrait dire « qu'on le veuille ou non », tellement elle est enracinée dans notre nature humaine. C'est une connaissance à laquelle les enfants accèdent sans même y prêter une attention particulière. Elle se retrouve constamment dans le langage courant. C'est ce qu'Aristote a réuni dans son traité des Catégories. On regarde un chat, puis un autre, puis plusieurs et on dit « c'est un chat ». On regarde une fleur, un arbre, un homme etc... Nous formons naturellement des connaissances universelles à partir de nos expériences. Nous formons dans notre raison des catégories. Cela nous permet de classer les choses !

Le langage va traduire cette connaissance basique à travers « l'attribution ». « Ce qui est » dans ce monde est toujours une « chose sensible », une chose à la fois individuelle (un sujet) et une chose déterminée (elle est telle chose : un chat, une fleur, un homme etc.). Cette chose est plus ou moins grande, plus ou moins lourde, elle présente un volume et une densité plus ou moins importante. C'est le domaine de la quantité où règnent en maîtres le plus et le moins. C'est ce domaine qui sera à la source d'une science particulière dans laquelle jouera la mesure (nombres et figures) et qu'on appelle les mathématiques ! Cette chose nous présente également des qualités sensibles. Par exemple : sa couleur, les sons qu'elle peut émettre, son odeur, sa dureté, sa saveur etc. mais aussi son mouvement, son repos, le nombre, sa figure, sa taille (des aspects qualitatifs que l'on peut saisir avec plusieurs sens). Il y a ensuite d'autres déterminations que l'on saisit directement : la relation, l'action et la passion, l'habitus (l'avoir), le temps et le lieu, la position. Nous avons donc une connaissance pré-philosophique qui nous donne les catégories communes de la pensée humaine. Aristote nous l'a admirablement résumée dans les catégories mais nous pouvons facilement retrouver ces catégories dans notre propre esprit !

Entrons dans la nef ! Et pensons à tous les artisans et artistes qui ont œuvré à la construction de ce bel édifice : architecte, tailleurs de pierre, sculpteurs, charpentiers, menuisiers, orfèvres, maîtres-verriers, maçons, facteurs d'orgue etc. Nous avons là, la base de cette première demeure de la philosophie qui est la philosophie de l'art ! L'artisanat et l'art nous donnent les expériences tout-à-fait fondamentales du travail humain en tant qu'il coopère avec la matière pour la transformer soit en vue de l'utile, soit en vue de la beauté. Les œuvres d'art sont délectables, elles saisissent et réjouissent l'esprit. Réfléchir sur cette dimension apparaît comme fondamental tant cette activité humaine joue un rôle prépondérant dans la formation de la personnalité humaine dès l'enfance. Mais le philosophe qui s'intéresse à l'art sait très bien qu'il ne possède pas la connaissance et la maîtrise de chacun de ces arts en particulier. Les habitus d'art ne sont pas connexes. Devenir danseur ne fait pas de nous un violoniste ou un peintre ! Le philosophe découvrira ces diverses expériences auprès de ceux qui pratiquent ces arts et qui savent nous faire découvrir la richesse de leur expérience et de leur science. Le philosophe regardant de près cette expérience en saisira les principes et les causes propres. L'œuvre d'art réclame un sujet, une matière dans laquelle elle est réalisée, et une forme propre qui fait qu'elle est telle œuvre. Cette forme est l'idea artistique et celle-ci provient de l'intelligence de l'artiste. Les grandes dimensions de cette science pratique seront : l'expérience artistique, la contemplation, l'inspiration et le choix artistique, le travail d'exécution ou réalisation et le jugement critique. Aujourd'hui, la philosophie de l'art se résume le plus souvent en une esthétique qui est une herméneutique des œuvres d'art. Mais l'herméneutique est déjà une forme d'interprétation. Ce n'est plus la philosophie de l'art telle qu'Aristote nous l'avait faite découvrir.

Avançons-nous jusqu'à la croisée du transept ! C'est d'une certaine manière le cœur de l'église, son centre ! Nous avons là l'image de cette deuxième grande partie de la philosophie : l'éthique. Le principe de l'éthique, découvert au terme d'une induction à partir des activités humaines et de leur ordre, est pour Aristote le bonheur. Le bonheur est ce au-delà de quoi on ne peut pas aller dans l'ordre pratique car lui seul est recherché pour lui-même et non en vue d'autre chose. La position centrale de l'éthique nous rappelle que le bonheur réclame le développement de quatre vertus que l'on a appelées cardinales : la tempérance, la force, la justice et la principale la prudence.

À la différence des habitus artistiques, ces vertus morales sont connexes et l'on ne peut exercer l'une sans que les autres ne se développent simultanément en nous. Mais ces vertus ne sont pas capables de nous donner, par elles-mêmes le bonheur. Elles sont toutefois indispensables à la formation du caractère de la personne. L'étique signifie étymologiquement « philosophie du caractère ». La manière dont on est « tourné ». Pensez au caractère d'une poterie qui sort des mains du potier !Aristote, à la différence des stoïciens, place le bonheur dans une sphère plus haute que le seul exercice des vertus. C'est pourquoi l'éthique consacre une place très importante à la réflexion sur l'amitié. Seule l'amitié est capable de perfectionner l'homme de telle manière qu'il puisse découvrir la dimension humaine du bonheur. Ainsi la philosophie morale consacrera une part importante de son développement à l'analyse de l'amitié humaine. La fin recherchée, le bonheur, se réalisera dans l'exercice de l'amitié. Non pas l'amitié utilitaire ou passionnelle mais l'amitié spirituelle. Qu'est-ce donc que l'amour humain depuis son éveil jusqu'à sa pleine réalisation ? Amour, intention, choix, moyens, conseil feront l'objet d'une étude approfondie. Enfin, cette éthique se poursuivra par une étude de la contemplation. Il suffit pour cela que nous élevions nos yeux vers les voûtes de notre cathédrale pour comprendre que l'esprit humain aspire à quelque chose de plus grand qu'un simple bonheur humain... La voûte nous rappelle l'existence d'un Ciel vers lequel l'esprit humain est mystérieusement attiré. Ce Ciel sera pressenti en philosophie de la nature puis affirmé de manière évidente au terme de la philosophie première.

Regardons maintenant cet édifice immense. Pourquoi a-t-il été réalisé ? Pour accueillir une foule. Cette foule est réunie par une œuvre commune. Dans le cas de cette cathédrale la réunion est ordonnée au culte. La philosophie ne peut oublier que l'homme ne vit pas seul, pas même avec un seul ami, mais qu'il est membre d'une communauté humaine. Cette communauté se forme autour d'un but commun. Ce que l'on a appelé le « bien commun », une notion bien complexe mais qui joue le rôle de principe dans la formation, le développement et la subsistence d'une communauté humaine. Sans ce bien commun, plus rien ne saurait rassembler des hommes qui, par ailleurs, peuvent avoir une certaine bienveillance mutuelle mais qui le plus souvent ne sont reliés entre eux que par ce bien commun. Cette partie de la philosophie s'appelle la Politique.

Regardons maintenant ce bâtiment. Nous voyons en lui, pierre, bois, métaux, verre etc. Tout ce en quoi il est constitué nous renvoie à la nature. C'est que l'homme non seulement habite la nature mais il en fait partie. La considération de la nature a été, comme nous l'avons vu, le point de départ de la philosophie en Grèce. C'est la grandeur de la Grèce d'avoir donné un tel développement à la philosophie de la nature. Nous avons vu les points de vue différents des premiers philosophes. La difficulté à joindre la stabilité et la perfection de l'être avec le fluxus du monde naturel, toujours en mouvement. C'est Aristote qui va permettre à la philosophie d'acquérir un nouveau regard sur la nature. C'est lui qui va nous montrer comment ce monde en devenir est intelligible et que les axes de recherche du physicien portent sur quatre orientations distinctes : la matière, la forme, l'efficience et la finalité. La physique d'Aristote nous conduit donc à une réflexion très profonde sur la matière. On a souvent réduit la découverte d'Aristote au couple forme et matière. Mais il s'agit là d'une réduction terriblement dommageable et qui ne nous permet pas de comprendre en profondeur cette philosophie de la nature. Le sens de la matière est bien plus profond en philosophie de la nature qu'en philosophie de l'art où le couple forme et matière joue à plein !

Regardons maintenant la forme de notre cathédrale. Elle est bâtie sur le modèle du corps humain. Le corps humain c'est « ce par quoi » nous réalisons toutes nos activités ! C'est le corps du vivant le plus parfait que nous connaissons et c'est le nôtre. Il y a là tout un domaine de réflexion qui fait appel à une nouvelle science : la science du vivant. Ce vivant nous interroge car il possède ce que les autres réalités de notre univers ne possèdent pas, une unité vitale, des activités vitales multiples et ordonnées. Il a quelque chose qui semble dominer, au moins provisoirement, le fluxus.

Son corps est comme un temple bien bâti et la vie est perceptible en lui depuis son cœur jusqu'en ses extrémités. Alors quel est le principe et la cause de la vie du vivant ? Que sont ses opérations vitales ? Comment s'ordonnent-elles ? C'est en étudiant le vivant qu'Aristote en arrive à découvrir l'âme comme principe substantiel de vie. Les opérations vitales lui permettent de découvrir la présence des facultés vitales. Vie végétative, vie sensible, vie spirituelle, tout cela existe dans ce vivant que nous sommes. La philosophie du vivant, bien avant la biologie moderne, l'étudie et en révèle la complexité, la perfection et la richesse. Le vivant, parce qu'il est source de toutes ses activités, mettra en pleine lumière la causalité efficiente.

Enfin entrons dans le chœur de notre cathédrale. C'est le lieu du mystère. Et oui, il y a bien un mystère caché derrière tout cela. Le vivant existe, la nature et toutes les réalités naturelles existent, l'ami existe, j'existe. Au cœur de toutes les parties de la philosophie se révèle et se cache le point crucial sans qui rien ne serait : l'être. Nous l'avons vu, les philosophes ont cherché à préciser ce qu'est l'être. Nous avons vu combien cela est difficile. Pour Aristote, l'être se saisi comme en tenaille à travers ces deux extrêmes que sont sa détermination radicale et sa fin. Ousia, étance, et energeia (être-en-acte). C'est à ces deux grandes découvertes que le conduisent ses analyses. Nous y reviendrons. A partir de là la science de l'étant en tant qu'étant (ce qui est en tant qu'il est) pourra se développer. On pourra découvrir la subsistence de l'étant (son autonomie dans l'être). On découvrira comment ses qualités dévoilent la richesse de ce qu'il est. On découvrira aussi que l'être en acte est fin et que c'est en vue de cette fin qu'existe ce qui est en puissance. On découvrira les modes de l'être-en-acte : existence et essence, activité vitale, mouvement, intelligibilité et bonté. On découvrira la profondeur transcendantale de cette connaissance de l'être et de ses propriétés : Un, Res, Aliquid, Vrai, Bien. Etc.

Enfin cet édifice doit être sécurisé. Une telle cathédrale spirituelle pourrait bien s'effondrer si elle n'était soutenue par les contreforts et les arcs-boutants. C'est le rôle de la critique en philosophie de pouvoir vérifier et justifier toutes les étapes de la recherche. Elle est aussi une défense contre les erreurs qui pourraient compromettre l'équilibre général de l'édifice.

Et puis, il y a tous les outils qui ont été employés pour cette construction. C'est ce que les philosophes appellent la logique. Elle est bien utile car l'intelligence humaine progresse à travers son conditionnement, ce que l'on appelle la raison ! Voilà cette petite visite s'achève ici en attendant de pouvoir regarder chacune de ces sciences de plus près !


 

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