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Courte introduction à la Métaphysique

14 Décembre 2020 , Rédigé par clubphiloblagnac Publié dans #Métaphysique

Courte introduction à la Métaphysique

« Primo cadit in intellectu ens »

Ce qui tombe en premier lieu dans l'intelligence, c'est l'étant. C'est par cette affirmation d'Avicenne, reprise par Thomas d'Aquin, que j'aimerais introduire notre réflexion d'aujourd'hui. Vous le comprendrez aisément, cela ne concerne pas seulement la Métaphysique, comme science, mais la vie même de notre intelligence humaine. La question de l'être peut sembler une affaire de spécialistes mais, en réalité, elle est l'affaire de tous puisqu'il s'agit de la vie même de notre intelligence humaine. Notre intelligence se nourrit de « ce qui est », de ce qui entre dans le champ de ses expériences, de ses expérimentations et de ses préoccupations. Il y a là une clé indispensable pour que nous puissions comprendre ce qui provoque l'éveil de notre soif de connaître et ce qui vient nourrir notre esprit dans son appétit de connaître.

La Métaphysique n'appartient pas à l'antiquité grecque ou au Moyen-Âge, elle est toujours actuelle parce qu'elle se fonde dans l'expérience de l'étant. L'étant c'est « ce qui est » aujourd'hui, ce qui est actuel. L'enfant a cette faculté que malheureusement l'homme adulte a bien de la peine à conserver toute sa vie : la fraîcheur de l'étonnement, la clarté de l'admiration qui le poussent à interroger de mille façons. C'est qu'en effet « ce qui tombe en premier lieu dans l'intelligence, c'est l'étant ». Il y a là une rencontre, une nouveauté, une présence, une manifestation, une énigme... L'étant est à la fois « autre » que moi mais aussi « moi-même » puisque je suis un étant. Je suis même l'étant dont j'ai l'expérience la plus proche et la plus continue.

Chaque jour, je ne cesse de rencontrer des choses dans la nature, des vivants, des hommes qui sont « autres » que moi. Chaque nouvelle rencontre suscite un nouveau désir de connaître. Il est du reste assez amusant de voir combien les hommes, même lorsqu'ils ont perdu cette naïveté de l'intelligence qui admire, interroge et découvre, sont malgré tout toujours en recherche de nouveautés... « Quoi de neuf ? » demande-t-on. C'est ce qui fait la fortune du monde de l'information : présenter des événements à chaud, comme ils disent, souvent sans la moindre capacité d'analyse, sans le moindre recul. Comment pourrions-nous analyser sans prendre un minimum de temps pour réfléchir. Mais cela témoigne de ce qui est un besoin inné chez l'homme de découvrir toujours davantage, de nourrir notre réflexion, de renouveller nos expériences et nos pensées. Aristote l'a dit avant nous. L'homme aime naturellement connaître et c'est pourquoi il préfère le sens de la vue puisque, par la vue, il peut connaître davantage de choses. Nous avons évoqué dans un cours précédent comment la quête du savoir pouvait se faire selon deux axes : l'extension et la compréhension. Nous y reviendrons.

Il y a donc à l'origine de la Métaphysique une admiration. Nous avons commencé d'en parler la dernière fois. Admiration face à la nature, aux vivants, aux mondes célestes, face à notre propre existence. Je n'étais pas, je suis. Au-delà du mouvement, au-delà de la vie, il y a l'exister des choses de la nature, des vivants et des hommes. C'est cet « exister » que j'affirme dans le jugement d'existence : « ceci est » mais aussi lorsque je dis : « je suis ». Et le « je suis » a un caractère très particulier puisque, si je regarde la grande distinction de la philosophie du vivant dans la lumière de l'étant en tant qu'étant, je ne peux plus diviser mon être de la même manière simplement comme âme et corps. Mon « je suis » est au-delà de la distinction de l'âme et du corps. « Je suis » a une unité plus profonde qui nous permet de dire à la fois que le corps existe par et dans l'âme et que l'âme existe dans le corps. Le « soi », le « je suis » est également irréductible à ma subjectivité. Le sujet prend une ampleur et une profondeur plus grandes car il est beaucoup plus que ma conscience et beaucoup plus que mon inconscient. C'est sans doute ce que l'Inde a si profondément compris. Le sujet nest pas le sujet méditant ou celui qui accomplit des actes. Le sujet nous renvoit à notre être. Mon « soi » prend toute la profondeur et l'extension de ma personne d'homme. C'est mon être concret, mon Dasein, dans toutes ses dimensions. Cet être concret est en même temps un être complexe avec des qualités, des déterminations diverses.

Le « ceci est » nous renvoie à cette connaissance tout à fait première que nous avons des choses, une connaissance que nous avons tous et que nous utilisons au quotidien même si nous n'en avons pas vraiment conscience. Je veux parler des catégories d'Aristote : ousia-première (sujet-individu) et ousia-seconde (essence-nature-quiddité), quantité, qualité, relation, action et passion, temps et lieu, position et possession. Si vous regardez bien tout ce que nous disons au quotidien d'une réalité, nous pouvons le rapporter à l'une de ces dix catégories. Les catégories sont accessibles à tous, elles sont d'une certaine manière pré-philosophiques, antérieures à l'analyse. Dans le « ceci est », au contraire, le « est » n'entre pas dans les catégories mais seulement le « ceci ». Le « est », nous le saisissons dans ce fait d'être d'une chose. Elle existe actuellement. Elle existe en acte. Ainsi les catégories nous renvoient à notre connaissance conceptuelle, universelle mais l'être a quelque chose de différent. Aristote dira que l'être n'est pas dans un genre.

Lorsque nous cherchons à comprendre ce que nous sommes comme sujet, comme « soi », nous comprenons que ce « soi » est irréductible au sujet ou à la nature ; bien que d'une certaine manière, le sujet en soit plus proche. Mais que serait-il sans nature ? Encore davantage irréductible à l'une quelconque des déterminations réunies sous les catégories. Mes qualités ne disent pas mon être, ma quantité ou mes relations non plus etc. Mon être est plus que mes déterminations. C'est pourquoi, au-delà de l'ousia-première et de l'ousia-seconde, l'intelligence découvre un principe et une cause plus radicale, qui est source de l'unité d'être et des déterminations. Cette source est cause à la fois du sujet et de sa nature. L'ousia-première c'est l'individu, l'ousia-seconde, c'est la nature ou l'essence. La dualité est dépassée lorsque nous interrogeons : pourquoi cette unité d'être que je ne peux saisir au point de départ que dans cette dualité de l'individu et de sa nature ? L'intelligence est contrainte à toucher un principe qui est au-delà, une source unique et singulière qui rend raison de cette unité au-delà de la dualité. À partir de cette découverte, l'intelligence va poser un nouveau regard sur le sujet, la nature et toutes les déterminations secondes de l'étant et découvrira cette autonomie de l'étant, dans l'ordre de l'être, qu'apporte l'ousia-principe : autonomie, unité, singularité et subsistence dans l'être.

Mais la découverte de cette source immanente ne suffit pas. Elle ne manifeste de l'être que son noyau premier et intime, présent toutefois dans l'étant tout-entier. Rappelons-nous que dans le « est » du « ceci est », ou dans le « suis » du « je suis », le « est » nous met en présence de l'exister, de l'acte d'être. Rappelons-nous aussi que notre être est celui d'un vivant, se développant dans le devenir. Mon être est donc foncièrement imparfait. Il y a à la racine de mon être une potentialité radicale. Nous avons rappelé comment à partir de l'ovule fécondé apparaît progressivement le fœtus puis le petit enfant dont le corps est suffisamment formé pour naître et commencer un nouveau développement jusqu'à l'âge adulte. Dans le devenir, l'état d'imperfection est toujours premier selon le temps. Pensez, tout simplement, au développement de l'éducation d'un enfant, de l'enseignement et de l'acquisition des arts et des sciences, d'une construction, d'une œuvre. L'étant est un étant dans le devenir et il existe toujours sous deux modalités imparfaite et parfaite. C'est cela qui a saisi Aristote. Mais rien n'a changé depuis Aristote ! Pensez à l'œil fermé et l'œil ouvert, au sommeil et à l'éveil, à la graine semée et à la plante, à l'intelligence en repos puis en acte etc. Nous découvrons là le problème de la finalité de l'être. L'œil est pour la vue, le repos pour l'éveil, les matériaux de construction en vue de la maison, la graine plantée en vue de la terre, le fœtus en vue de l'enfant puis de l'homme, de manière plus abstraite, la matière en vue de la forme, nous pourrions dire l'essence est en vue de l'existence. Et là, nous voyons ce qu'il y a de juste dans l'existentialisme : une certaine priorité de l'exister sur l'essence. L'étant n'est pas seulement un existant singulier posé dans l'univers, il est aussi celui qui est ordonné à une certaine finalité. D'où la question en vue de quoi l'étant ? En vue de quoi « je suis » ? C'est cela qui conduira le philosophe à une nouvelle découverte de l'être par une induction d'un type très particulier. Aristote dira un regard synthétique et analogique :

Ce que la vue est à l'œil

Ce que la plante est à la graine,

Ce que l'œuvre est à la matière,

Ce que l'homme est au fœtus,

Ce que la contemplation est à celui qui possède l'habitus contemplatif,

Ce que la nature-forme est à la nature-matière

Ce que l'âme est au corps

L'être-en-oeuvre (energeia) l'est à l'être-en-puissance (dhynamis)

Aristote saisissant l'energeia (être-en-œuvre ou être-en-acte) en conclue que celui-ci est fin et que c'est en vue de cette fin qu'existe ce qui est en puissance. Il y a donc une priorité de l'energeia sur la dhynamis du point de vue de l'être, excepté dans le devenir individuel. L'être-en-oeuvre se réalise de diverses manières.

Nous pourrions les résumer ainsi :

Il est acte d'être par rapport à l'essence

Il est âme par rapport au corps

Il est forme par rapport à la matière

Il est mouvement par rapport aux réalités physiques

Il est exercice par rapport à nos activités vitales

Et en ce qui concerne l'esprit :

Il est vérité par rapport à l'intelligence

Il est bonté par rapport à la volonté.

Nous pouvons dire que si l'ousia-principe est donc l'être saisi dans son noyau le plus profond, l'être-en-oeuvre est l'être saisi dans sa perfection. Or nous comprenons bien qu'être une réalité singulière, unique, autonome est fondamental pour nous mais que notre être reste imparfait tant qu'il n'atteint pas sa fin propre. Dans notre « je suis » sont unis le fondement et la fin de l'être. Et d'une certaine manière l'être-en-oeuvre est plus être que l'ousia. Vous pouvez commencer à comprendre comment cette double découverte va nous permettre de développer un anthropologie fondée non sur les sciences humaines, mais une anthropologie fondée dans une science métaphysique.

Au-delà de cela, cette saisie de l'antériorité de l'être-en-oeuvre sur l'être en puissance sera dans la Métaphysique d'Aristote le levier qui lui permettra de s'élever jusqu'à l'existence nécessaire d'un Être Premier, Acte Pur. Nous retrouvons donc au terme de la philosophie d'Aristote cette contemplation d'un Être qui n'est absolument pas limité, un Être absolument simple non composé d'être-en-œuvre et d'être en-puissance.

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